Les années 2020 : Comprendre le phénomène du backlash des droits des femmes

Abidjan, 2 Décembre 2023-/La Ligue/-Dans la nuit du mercredi 9 au jeudi 10 Août 2023, le régime militaire issu du coup d’Etat au Mali annonçait à la télévision nationale la mise en place d’un nouveau gouvernement, ne comprenant seulement quatre femmes sur 21 membres. Par ailleurs, le ministère de la Promotion de la Femme et de la Protection de l’enfant a été supprimé. Celui-ci avait été crée en 1989 afin de mettre en oeuvre des stratégies nationales en matière de la population, de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant.Tout comme au Niger, un phénomène de contrecoup des droits des femmes, communément appelé “backlash” est constaté depuis le début de la deuxième décennie du 21ème siècle, dans différentes régions du monde, notamment des Etats-Unis en Afghanistan en passant par le Niger, le Mali, la Pologne, etc.. 

 

Le terme “backlash” est employé pour la première fois en 1991 par la journaliste américaine Susan Faluidi,  dans le but de  décrire la réaction des conservateurs aux États-Unis face aux mouvements de libération des femmes dans les années 1970-80.

Dès lors, le concept s’est exporté à travers le monde et s’est fait réapproprié par les mouvements féministes pour décrire des situations de recul des législations nationales sur divers enjeux liés aux droits des femmes : droits reproductifs, avortement, droits des personnes LGBTQIA+, etc. Le backlash observé aujourd’hui semble être une réaction au mouvement #MeToo lancé en 2017, qui avait permis une libération de la parole des femmes sur le sujet des violences sexistes et sexuelles. Les crises économiques, politiques et sociales liées au Covid-19 ont également contribué à créer un climat propice à des législations conservatrices.

Le “backlash” trouve son origine dans des mouvements “anti-droits”, c’est à dire opposés aux droits fondamentaux. Ces mouvements se composent d’acteurs variés, allant d’acteurs étatiques ou non-étatiques aux acteurs politiques, économiques ou religieux. Leurs alliances sont formées avec pour seul objectif commun est le recul des droits des femmes et des personnes LGBTQIA+. En outre, selon le Forum Parlementaire Européen (EPF), ces coalitions bien organisées auraient perçu plusieurs milliards d’euros entre 2009 et 2018. Le lobbying leur permettrait ainsi d’augmenter leurs leviers d’action sur la politique des différents états.

 Le détournement des normes multilatérales est une stratégie privilégiée pour parvenir à leurs objectifs. Par exemple, la déclaration du Consensus de Genève sur la promotion de la santé de la femme et le renforcement de la famille, signée par un certain nombre d’Etats conservateurs (Russie, Egypte, Indonésie, Hongrie, Pologne, etc., est un texte anti-IVG, qui s’appuie sur d’autres normes internationales telles que la Déclaration Universelle des Droits de l‘Homme de 1948. Les mouvements anti-droits sont également présents dans les instances multilatérales (ONU, Conseil des droits de l’Homme, Union Africaine, etc.) et censurent constamment les propositions de textes progressistes en matière de droits des femmes, notamment à la Commission de la Condition de la Femme (CSW) qui est pourtant le principal organe international dédié à l’égalité de genre.

  Aucune région dans le monde n’est épargnée, où à différentes échelles, sous différentes formes selon les contextes nationaux, les mouvements anti-droits se liguent contre les droits des femmes. Des crises politiques aux alternances de gouvernement, dans des situations politiques, économiques et sociales très diverses,  ils profitent des changements dans le paysage politique afin de faire régresser les droits des femmes. 

La récession qui a le plus fait parler d’elle est l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade par la Cour Suprême des Etats-Unis le vendredi 24 Juin, qui, depuis 1973, accordait aux Américaines le droit d’avorter dans tout le pays. Cette décision ne rend pas les interruptions volontaires de grossesse (IVG) illégales mais renvoie à chaque Etat la décision d’autoriser, ou non, l’avortement sur son territoire. Un an après, selon une quinzaine d’experts de l’ONU, dans 14 états les interdictions d’avortement ont rendu les services d’avortement largement inaccessibles et ont privé les femmes et les filles de leurs droits à la santé sexuelle et reproductive. La décision de la Cour suprême avait également un effet dissuasif sur les médecins et les travailleurs de la santé, qui pourraient être confrontés à des conséquences juridiques pour leurs décisions de soins, y compris celles concernant les avortements médicalement nécessaires ou salvateurs ou le prélèvement de tissu fœtal sur des femmes ayant subi des fausses couches incomplètes. Même dans les Etats où il reste légal, certaines cliniques s’abstiennent dorénavant de fournir des services liés à l’avortement.

 La deuxième récession la plus révoltante, et la suspension de l’éducation des femmes en Afghanistan. Le 15 août 2021, les talibans reprirent le pouvoir à Kaboul et mirent fin à la guerre de 20 ans, tout en précipitant l’effondrement du gouvernement du président Ashraf Ghani, soutenu par l’Occident. Malgré la promesse d’un régime plus souple que lors de son premier passage au pouvoir, le groupe islamique n’a pas tenu parole. Le 12 septembre 2021, les talibans annoncent que les femmes peuvent fréquenter les universités dont les entrées et les salles de classe sont séparées par sexe, mais qu’elles ne peuvent recevoir des cours que de professeurs du même sexe ou d’hommes âgés. Le 23 Mars 2022, les écoles secondaires pour filles ferment définitivement. Le 7 mai 2022, le chef suprême des talibans ordonne aux femmes de se couvrir entièrement en public, y compris le visage, et de rester principalement à la maison. Enfin, le 21 décembre 2022, des centaines de jeunes femmes sont empêchées d’entrer dans les campus universitaires par des gardes armés. Cet événement intervient à la suite d’un à la suite d’un communiqué de l’Enseignement supérieur annonçant un arrêté « suspendant l’éducation des femmes jusqu’à nouvel ordre »

Une des évolution “en dents de scie” qui illustre le mieux le problème de récession est celle de l’Iran. De janvier 1963 jusqu’à maintenant, la condition féminine continue de changer sans cesse à cause des différentes révolutions et crises politiques. Le 26 janvier 1963, une série de réformes visant à moderniser le pays et à accroître sa puissance économique, sont adoptées à l’unanimité par la population lors du référendum sur la Révolution blanche du gouvernement iranien.Parmi ces réformes, on retrouve une progression importante des droits des femmes. Les femmes se font accorder  le droit de vote, des postes ministériels, l’accès aux universités, etc.

En 1979, une nouvelle révolution à lieu par la prise du pouvoir par les islamistes a permis la mise en place de l’Etat islamique et de la charia. Les hautes fonctions politiques leur furent retirées, le port du voile rendu obligatoire, et leur statut réduit à celui de simple propriété du chef de famille, mari ou père. L’accès aux études supérieures et aux filières médicales fut à nouveau permis à partir de 1992, grâce à l’intervention du nouveau Bureau des affaires des femmes. Le 16 Septembre  2022, Mahsa (Jina) Amini, jeune fille kurde de 22 ans, meurt à Téhéran, trois jours après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour son apparence jugée « inappropriée ». S’en suivent dans le pays de nombreuses manifestations, qui permettent la suppression de la police des mœurs le 3 décembre 2022 par le régime iranien. Aujourd’hui, la terreur pour les femmes et filles de ce pays est toujours d’actualité. Selon la secrétaire d’Amnesty International, les autorités encourageraient les partisans de l’oppression par la République islamique et de la soumission des femmes et des filles à participer aux mêmes violences que celles qui ont tué Mahsa Zhina Amini en toute impunité. “ La répression observée actuellement est renforcée par les technologies de surveillance de masse qui sont capables de révéler l’identité des femmes qui ne portent pas le voile dans leur voiture ou dans des lieux où elles circulent à pied”, a déclaré la secrétaire générale d’Amnesty International, Agnès Callamard.

Sur le continent africain, la situation est tout aussi critique.

Ainsi, au Sénégal, les féministes pionnières alertent sur un recul en terme de droits des femmes, qui affecte la lutte féministe. En effet, à la manière de beaucoup de pays dans le monde, il connaît la montée du conservatisme religieux qui se mélange au traditionalisme déjà prédominant. Les conservateurs sont présents à tous les niveaux de décision et bénéficient du soutien de politiques d’envergure qui se font relais de leurs attaques. Par exemple, l’ONG Jamra, autoproclamée gardienne des valeurs islamiques du pays, à travers des campagnes de lobbying, tente d’influencer l’opinion publique en discréditant les actions et projets de tous les acteurs de la société civile qui sont en désaccord avec la religion musulmane. En novembre 2020, suite à l’annonce du ministère de l’Education nationale d’organiser un atelier pour introduire un programme d’éducation sexuelle et reproductive dans les écoles, en collaboration avec l’Unesco, Jamra s’est opposé à ce projet et s’était lancée dans une tournée auprès des chefs religieux pour dénoncer celui-ci. Le président Macky Sall avait nié sous pression toutes tentatives de modification du programme scolaire. Les conservateurs vont par conséquent utiliser leur influence afin de compromettre l’application des lois déjà établies en faveur des droits des femmes. La loi sur la parité mise en place depuis 2010, qui est reprochée de limiter la méritocratie, rencontre de plus en plus de résistance dans son application par des personnes religieuses, de la société civile ou des acteurs politiques. Seulement 15 femmes dirigent des collectivités locales sur les 559 que comptent le pays, soit 2,68 %. 

La Tunisie rencontre elle une régression beaucoup plus alarmante. Depuis son élection à la présidence en 2019, et plus particulièrement depuis l’instauration d’un régime lui conférant les pleins pouvoirs en juillet 2021, Kaïs Saïed gouverne avec pour objectif de rendre au peuple sa souveraineté en restaurant une démocratie désormais représentative. La parité en politique a régressé dès lors, avec 22 % femmes au Parlement à l’élection de  2019, contre 36 % entre la mandature 2014-2019. La loi sur la parité des sexes dans les assemblées élues était inscrite dans la Constitution tunisienne de 2014, jusqu’à ce qu’une loi élimine ce principe en septembre 2022, à savoir l’obligation pour les candidats d’avoir 400 signatures d’électeurs inscrits dans leur circonscription et de financer eux-mêmes leur campagne. Les femmes se retrouvent donc pénalisées car elles possèdent des moyens financiers et des soutiens locaux moins développés que ceux des hommes. Sur 1 427 candidats qui ont déposé leurs dossiers de candidatures à la commission électorale pour les élections législatives du 17 décembre, seules 214 sont des femmes. Par ailleurs, la nouvelle Constitution tunisienne adoptée le 26 juillet 2022 préoccupe par la proportion importante que prend l’islam et la menace d’une réduction de celle des droits des femmes. En effet, l’article 55 ouvre la voie à une limitation des droits et des libertés pour “pour les besoins de la sécurité publique, de la défense nationale et de la santé publique”, ce qui facilitera à l’avenir de potentielles restrictions des droits des femmes.

 Enfin, pour la plupart des pays du continent, en dépit des progrès constants observés, les inégalités persistent et les droits fondamentaux des femmes peinent à être appliqués. En Afrique subsaharienne,  dans le domaine du sport notamment, le sexisme est toujours présent et le manque d’intérêt pour les pratiques sportives de l’Etat cause un manque de financement des budgets  éducatifs et sportifs pour les femmes. Le 26 Octobre 2023, la Fédération Ivoirienne de Football publiait un communiqué expliquant que l’équipe féminine de football de Côte d’Ivoire ne participera pas aux deux matchs du 2ème tour des éliminatoires des Jeux Olympiques de Paris 2024 en raison d’un manque de budgétisation des compétitions des équipes féminines par l’Office National de Sport. L’équipe féminine ne participera donc pas aux Jeux Olympiques de Paris 2024, ce qui n’a jamais été observé pour les équipes masculines. Les féministes africaines restent mobilisés constamment, en particulier sur les réseaux sociaux où elles défient et confrontent tous les acteurs de la société sur leurs actions et leurs portées.

En somme, l’histoire nous montre que les droits des femmes n’ont pu être acquis, et obtiennent leur pérennité que grâce à des mouvements sociaux, aux associations féministes et aux gouvernements. L’émancipation de la femme pose encore problème, elle est constamment combattu et n’est toujours pas une priorité sociale de la société. 

La lutte ne doit  jamais s’arrêter, la Ligue interpelle donc le gouvernement ivoirien et toutes les associations luttant contre les violences faites aux femmes à un renforcement des actions pour faire bloc face au recul des droits des femmes sur le territoire ivoirien.

Écrit par Marianne Thiémélé

La Ligue Ivoirienne des Droits des Femmes
est une organisation féministe créée par des jeunes femmes ivoiriennes engagées dans la promotion des droits des femmes ainsi que la lutte contre les violences faites les femmes.

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